Comme me l'a fait
remarqué une vieille amie sur le perron du Beffroi à Montrouge, les
notes de ce journal se sont éloignées de la course à pied. C'est
le principe aussi de son absence de règle, principe pourtant
obsolète dès le titre : ce journal est celui d'un marathon à
courir, de ce qu'est une vie ayant un marathon à courir, de ce qui
participe et appelle la course, de ce qui la nourrit, de ce qui en
naît. Depuis, dessous, une vie remue donnée à lire avant la fin du
texte, dans ses fragments, dont certains forment texte eux-mêmes.
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En début de semaine à
Brest, première sortie à vélo hors de la ville vers Plouzané. Je
souhaitais découvrir le phare du petit minou, c'est son nom, donnant
sur l'ouverture de la rade et raconté par Julie comme l'un de ses
lieux d'élection. Les deux heures furent un bonheur malgré un temps
dont je ne parviens pas encore à attester la fiabilité et un
demi-tour à quelques centaines de mètres du but. À vélo, on a
aussi le temps de réfléchir et si je me crée mes propres lieux et
mes propres chemins à Brest, je sais que je veux contempler ce phare
d'abord avec Julie.
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À Bruz, à côté de
Rennes, sortie courte au petit lendemain de nos retrouvailles avec
JLM et son équipe dans une campagne saisie par une brume trapue en
dessous du soleil, dans laquelle surnagent haies, arbres et leurs
toiles d'araignées alourdies. La fraîcheur de l'air et les odeurs
de prés et de champs m'ont laissé divaguer les paysages russes de
campagnes saisies par le climat continental, comme à chaque fois que
la ruralité sans relief, exotique, s'offre à moi et que j'ai froid
aux oreilles. C'est l'un des archétypes personnels naissant de
sensations enrichies de contexte, une madeleine régulière parmi
d'autres.
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À Beaumont, en day off,
sortie d'après-midi ensoleillé, à nouveau sur des sentiers
d'enfance. Suite à une crevaison de mon frère assez éloignée de la maison, notre mère avait assigné des limites au territoire de nos jeux vélocipédiques. Ce sont ses
contours que j'ai inconsciemment emprunté, rappelé à mes yeux.
Plus grand, parmi des haies qui ont aussi poussé, je me suis redonné
par la négative le sentiment de sol qui me quittait rarement lors de
ces escapades : le sol proche qui rappelait à chaque instant la
possibilité de la chute, qui signifiait par sa résistance la
difficulté du pédalage, qui lors des rencontres précipitées avec nos corps laissait l'une ou
l'autre marque. Parcourant l'ancienne frontière entre pavillons et
jardins, bois et territoires cultivés dont mon enfance supposait
l'équilibre, j'ai encore déploré le centre commercial,
la station-service, les résidences qui l'effacent.
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La tournée suit son
cours, riche de sensations et d'intensités. Elle donne à écrire, elle inspire, elle donne à faire. La belle équipe.