lundi 29 juin 2015

Dans les oreilles


Ce matin, séance décrassante à allure libre, trois quarts d'heure pour nettoyer les jambes de la veille avant une sortie plus énergique prévue mercredi matin. Sensations agréables alors que le monde tire la gueule et que la tête rumine : l'acharnement médiatique sur Tsipras depuis son annonce d'un référendum est tel que de grossier, il en devient insultant. Le Monde mitraille sans même y croire – le dialogue mis en scène entre trois Grecs –, France Culture propose une émission sur la négociation lors de laquelle Tsipras est présenté comme inexpérimenté et inconséquent.
Mais quand il n'y a plus rien à négocier que l'acceptation ou le refus d'une politique économique inopérante et amorale et que le courage politique, à l'opposé du principe de carrière électorale, va jusqu'à rendre la parole aux électeurs grecs aussi peu de temps après l'arrivée au gouvernement, je ne voudrais pas être payé à noircir les pages, les écrans et les ondes qui nous entourent ces jours-ci.
Restent, face aux gouvernements inertes comme le nôtre, les voies légales : pétitions, manifestations, articles, blogs, textes et images de toute sorte etc. pour dénoter dans ce concert mortifère.

*

Je ne comprends pas les gens qui courent avec de la musique. Je ne comprends pas les gens qui nagent non plus, alors ce ne doit pas être bien grave. Mais pour un coureur écoutant un podcast ou un livre audio, combien se conçoivent une bulle de motivation par la playlist de leur smartphone ?

J'ai couru une fois, il y a longtemps et pour ne pas mourir idiot, avec de la musique. Je n'entendais pas mes pas, je n'entendais pas mon souffle, je n'entendais pas le piano que j'avais entrepris d'écouter. Le paysage visuel, privé de paysage sonore, devenait factice et piégeux, hostile à l'itinéraire. Pire, je me suis ennuyé, dépris du monde, soumis à un rythme musical troublant celui de mes pas.
Je n'ai pas recommencé. 
Parfois, j'envisage de courir avec un podcast, écouter une émission, mais ce serait finalement me priver de ce qui me plaît tant, l'équilibre entre activité et méditation, entre le léger suspens de soi alors que le corps envoie un maximum de signaux, et l'extrême attention aux signes du monde pour ajuster et optimiser l'un ou l'autre élément de la course. Pourquoi perdre un moment aussi sensuel en s'aliénant l'audition ?
Un autre inconvénient, cela impliquerait de prendre mon téléphone avec moi, ce dont il ne peut être sérieusement question.

*

L'écriture de ce journal, elle, ne pâtit pas de se faire en musique, ce qui n'est pas nouveau mais pas habituel non plus. La prose non narrative s'accompagne bien aussi de schèmes rythmiques qui, pour le coup, aident à la suspension scripturale, alors que pour le même effort dans d'autres genres, ils sont souvent des gênes irrémédiables.

Compagne de ce soir, de la musique militante, belle et fine.




dimanche 28 juin 2015

Porte-bidon


Mes pensées, depuis l'ouverture de cette partie publique de mon activité de diariste, tournent avec une intensité accrue autour de l'écriture.
Il s'écrit, parce que journal voué à la préparation d'un marathon, à côté du reste. Dès son idée, puis en le lançant – l'intervalle fut court entre ces deux moments –, il se devait d'être différent de ce que je reporte dans des carnets depuis des lustres maintenant, activité scripturaire doublement nécessaire, à la fois hygiénique et laboratoire.
Ce journal-ci n'est plus le journal, il est ce journal. Pour moi, à chaque mot proposé, l'enjeu en est différent. Il a une direction, ou du moins un titre. Il est écrit pour être lu. Il demeure écriture investie d'intimité, mais donnée à lire et donc relue par moi d'un œil différent.
Dans le moment de l'écriture première puis dans celui de l'écriture seconde, la relecture, il appelle de ma part des gestes dont la nouveauté m'interroge. Depuis que je poste, en m'efforçant de conserver une forte part de premier jet, je succombe à la tentation de relire ce qui a déjà été publié et d'en enlever les répétitions, les lourdeurs, les étroitesses et les adverbes. En ce sens, j'ai du mal à le reconnaître comme un journal.

Pourtant, c'en est un, intitulé comme tel. Et l'espace que je lui permet de recherche dans l'écriture, comme dans le présent post – qui tient plus de la réflexion que de la recherche, d'ailleurs –, en fait un laboratoire autre, inédit.
Sans doute est-ce cet inconnu concret, en brouillant l'essentiel de mes repères diaristes, qui me tient aussi alerte en ce début d'expérience, le fait de sélectionner les informations et les mots, même si je le fais de la façon la moins serrée possible.

*

Ce matin, sortie ludique au lendemain de mon ultime concert avec Wrong Canadians. Ayant bu un nombre rassurant de bières la veille et considérant la chaleur du jour, j'avais prévu une séance courte à échauffement soigné pour prévenir toute contracture de déshydraté, puis trot léger dans les escaliers de Longchamp, montées et descentes, ce qui fut fait dans une sudation intense.
J'ai ressorti du placard – au sens propre – ma ceinture porte-bidon, dont je conservais un souvenir de confort et que je voulais utiliser sur du court avant d'en dépendre sur du long. L'intelligence de la conception de ce truc acheté une bouchée de pain il y a des années m'a encore étonné. Remonte la mémoire de sorties par un bel itinéraire qui de Chamalières, m'emmenait à Montjuzet, Durtol, Royat puis retour, ou d'une matinée à Annecy le long du lac, le lendemain d'une date avec Delano. Ensuite, nous étions allé nous balader avec le reste du groupe dans des coins de la ville que j'avais repéré. Matt m'avait signalé qu'il fallait que je songe à acheter un pantalon à ma taille.
Je n'ai donné que deux concerts avec Wrong Canadians, je pense donc m'en souvenir mieux que de la sortie d'aujourd'hui. Mais du concert d'Annecy, je garde peu : j'ai joué trois notes de violoncelle à la balance, mon clavier maître est tombé – pendant « Between Day & Night » je crois –, nous n'avons pas trouvé le macumba. Le jour d'après m'est beaucoup plus resté, mais est-ce parce que nous avons passé une journée de day off ensemble, une journée inédite, chaleureuse, aux tensions mesurées, ou est-ce parce que j'avais oxygéné mes synapses et mon âme par ce qui fut la première sortie de deux heures de ma vie ?

Je peux réfléchir à ce genre de choses en courant. Et je peux réfléchir à ce genre de choses en réfléchissant sur la course à pied.

samedi 27 juin 2015

Ennui et oubli


Les jours sans courir, on s'ennuie plus vite.
Le cours des heures ne s'interrompt pas mais je me sens parfois inactif, même en mettant de l'énergie à faire tout ce qui doit l'être, tâches quotidiennes, corvées et plaisirs. Le repos est aussi important que la course mais en manque d'endorphines, on peut se morfondre doucement si l'on n'y prend pas garde.

L'ennui m'atteint rarement, ce qui participe aussi de mon goût pour la course à pied, pour sa solitude et son suspens. Mais l'étrange de la situation, connaître des périodes de creux que l'on se donne parce qu'on se procure des pleins aussi intenses, ne se gère pas sans un surcroît de volonté. L'effort est une addiction comme une autre, ni plus ni moins honorable.

Hier, j'ai vécu une belle sortie : le plus beau mois, la plus belle heure, la plus belle température et la plus belle lumière. Si bien que je me suis laissé surprendre à avoir couru juste trop longtemps quand j'ai enfin jeté un œil à ma montre, perdu entre mes pensées et la fameuse transe du coureur. Il faut savoir rester raisonnable, s'habituer à se tenir aux objectifs si une séance n'est pas vouée à l'improvisation complète.

vendredi 26 juin 2015

Les Autres – 1


Tous les matins, ils sont là. Elle parle, lui non ou très peu. L'un et l'autre sont un peu fort, l'accent marseillais léger, côtoyant la quarantaine, il vapote.
Je n'ai jamais réussi à arriver avant eux, parfois juste après, jamais avant. Ils amènent leur matériel dans un cabat qu'il porte, c'est elle ensuite qui s'active, qui dirige. Lui reste passif, l'air renfrogné et patient, quelques tatouages grossiers et négligés sur les bras.
Je dois l'avouer, c'est lui surtout qui m'intéresse, lui que j'observe, lui qui me fascine. J'imagine une possible connivence, un signe puisqu'ils sont là tous les matins, un hochement de tête. Rien pourtant. Peut-être n'ai-je pas su le dompter.
Je cours tandis qu'ils opèrent, les croise avec une fréquence plus ou moins élevée selon la nature de ma sortie, pas de bonjour ni d'au revoir. Et je n'arrive pas à décider si c'est vraiment décevant, parce que je pense que je ne saurais vraiment pas quoi leur dire.
Parfois, d'autres gens s'arrêtent, eux en apostrophent, ça dure un, deux tours de parc, jamais plus, elle sourit peu et lui non plus.
Ils nourrissent les chats errants du parc Longchamp tous les matins depuis que je cours à Marseille.

*

Après quelques recherches, le marathon de la Baie du Mont Saint-Michel a retenu mon attention. L'édition 2016 a lieu à la toute fin de juin, une période idéale et un itinéraire sans trop de relief, ce que je recherche pour une première malgré mon appétence pour le dénivelé positif.

Les sorties sont très satisfaisantes en ce moment, alternance de séance d'endurance légère et de fractionnés libres – fartlek – pour monter doucement en puissance sans introduire encore de cadres plus contraignants. Je pense laisser passer encore un mois puis les vacances de cet été avant de porter à nouveau le cardio, tout en variant le fractionné avec des séances légères d'escaliers.

lundi 22 juin 2015

Boutade


Il fallait laisser venir. Laisser les dénégations légitimes, les pudeurs se dresser en rempart avant d'accepter un appel surgi du plus loin de la volonté, de ce lieu où les décisions se prennent pour la plupart.
Des années, refuser l'appel en ne le formulant pas, en ne l'envisageant pas. Puis sur la base d'une boutade, grouper les éléments épars sans grand effort : ils savent se reconnaître les uns les autres.

Je cours depuis sept ans maintenant. Quand je dis que je cours depuis sept ans, cela ne veut pas dire que je cours tous les jours depuis sept ans mais que depuis sept ans, je considère une période où je cours comme une période normale et une période où je ne cours pas comme une période anormale, frustrante, d'amoindrissement moral et physique.

Tout m'appelle à la course d'endurance, le général comme le particulier : la bipédie, le plaisir qu'offrent endorphines et les puissances d'agir physique – se sentir capable de – et morale – se savoir capable de – retrouvées ou découvertes, mon goût pour la méditation, les paysages visuels et sonores, l'effort solitaire etc.
L'homme en tant qu'espèce est doué d'une capacité au déplacement qui, avec le contenu de son occiput et quelques autres gadgets bien combinés comme le pouce préhenseur, en a fait un prédateur riche d'itinéraires variés, réfléchis et longs. C'est une joie de se servir de cette capacité.

Depuis plusieurs mois, alors que la saison a bien repris, je pâtis d'un manque d'objectif : il est vite apparu que je ne pourrai inclure d'itinéraire de randonnée engagée dans l'été 2015. Et sans objectif concret de cet ordre, nécessitant une condition physique suffisante pour réaliser le parcours, les sorties – je cours le matin – se sont succédées, dénuées d'agrément, le plaisir des sensations se perdant dans un sentiment d'inutilité.
Par ailleurs, le désir de cesser à nouveau de fumer me tient sans me serrer, comme un compagnon discret mais qui ne saurait disparaître : chaque instant que je goûte me frustre en même temps par mon souffle qui, même travaillé comme ces jours-ci, est pour autant raccourci.

Comme beaucoup, j'ai passé des années à mettre à distance les sujets qui engagent plus profondément dans une conversation, habituellement par l'ironie ou la boutade. Je ne regrette pas de savoir le faire : il faut aussi pouvoir se protéger. Et si je suis sincère en évoquant mon envie d'arrêter le tabac, je ne peux parfois m'empêcher de l'enrober d'un mot.
Le dernier pourtant a su se montrer performant sans que je ne m'y attende. À un ami qui me demandait quand je pensais arrêter, tandis que je lui en avais exprimé la volonté, je répondis sans y réfléchir « quand je préparerai un marathon ».

Nous y voilà.
J'ai fumé une cigarette peu après, machinale, puis plus une seule autre. L'évidence de l'objectif, sa présence juste dévoilée alors qu'il était déjà là depuis longtemps, compagnon des arcanes inconscientes de mon goût et de ma volonté, m'a envahi peu à peu dans le restant de la journée. Son actualité le rend nécessaire : je veux arrêter de fumer, je veux un objectif physique inédit et à long terme. Le marathon est à la fois accessible et effrayant, porteur d'une charge symbolique à laquelle je suis sensible.
L'absence d'expérience ne constitue pas une réserve : je cherche à vivre quelque chose d'inédit et d'engageant et que ma vie en 2015 et 2016 me permet.

Je me suis donné là une longue route. La parcourir va nécessiter un engagement physique et intellectuel qui me paraît suffisamment particulier, remarquable en regard de ce qu'a pu être ma vie en de nombreuses périodes, pour que je ressente le besoin de le narrer dans ce journal que je donnerai à lire au fur et à mesure de son écriture.

À ce titre, il ne pourra s'agir d'un guide pratique au sens où on peut l'espérer autour d'un tel sujet.
Mon journal n'est celui de nul autre, il existe pour usage, pour rendre idée de toutes les digressions auxquelles l'individu doit s'attendre quand il s'attelle à une tâche longue, pour tout ce qui pourra surgir et que je ne peux encore concevoir.
Mais laissons pour ce jour cet incipit approximatif et trop long. Il y aura bien le temps de dire plus.