jeudi 21 juillet 2016

De l'écriture et des réseaux


Ça faisait longtemps. L’écriture ne me quitte pas mais son adresse varie, sa publicité. Et j’ai couru sans régularité jusqu’aux portes de l’été, abandonné un moment par l’état d’esprit nécessaire. Dépendant du soleil. Dépendant de ce que je scrute, absorbé par le travail, les travaux, les musiques, certaines lectures.
Et d’où puis-je écrire ? Parce que si j’inscris sur mes carnets, des fichiers, des paroles, des blogs ou des réseaux, si je donne ou non à lire, il est délicat d’établir l’itinéraire de cette écriture ou de ces écritures en se contentant du lieu du support. Un lieu unique, ou conçu comme tel, ne forme pas déplacement ni processus. En écrivant ceci, j’ai, en songeant à la publicité du présent texte, le sentiment de m’effondrer au travers de portes grandes ouvertes. Comme si je n’étais pas de taille pour donner quoi que ce soit à qui lira sur le sujet. Comme si, d’un autre côté, j’étais un cuistre de m’attacher à ces questions et non content de m’y intéresser, de faire part de cet intérêt prétentieux. On incorpore tellement de prévenances, on s’interdit tellement. Le texte va et vient de lieu en lieu, d’écriture en lecture, de lecture en écriture, il se forme et se déforme, se reforme.
Spinoza m’a accompagné une bonne partie de l’année, une route loin d’être finie. Mais Derrida vient de gentiment lui taper sur l’épaule pour trouver un peu de place. Il attendait depuis un moment, depuis le M1 en édition. Une émission de radio a récompensé sa patience envers le bon terrain que je constitue, une vieille fibre phénoménologique. Et me voilà à envisager l’écriture, cette trace hors de la voix et de sa durée, cette inscription ailleurs et pourtant le plus souvent avec. Si l’on se dit qu’on écrit d’entre les morts, au-delà de la mort, on écrit de la même façon mais on ne le sait pas pareil. C’est un sens de l’inscription.

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On écrit aussi sur les réseaux. On s’amuse, on s’informe, on informe, on cherche parfois à convaincre. On se donne plus ou moins de pudeur. On s’épanche, on s’agace et on agace, on se tait et on observe. On lit beaucoup. On se présente.
Empirique, sans méthode sociologique mais en tâchant d’observer avec un minimum d’analyse, il paraît difficile de ne pas s’effrayer devant les mouvements massifs d’affects et ce qu’ils induisent de bêtise et, corollaires, de jugements et de décisions. Ils sont devenus d’autant plus aisés à observer avec la violence et le nihilisme des temps. Et sous prétexte d’informer à son tour, on succombe à tel ou tel événement digne d’être mis en avant. « Je sais ce qui est important. » On tâche de briser les fluxs qui nous oppressent immédiatement, pris dans d’autres fluxs dont il est difficile de se faire le critique.
Scruter, toujours scruter.
Mais faut-il s’empêcher de noter, de relever ? De diffuser ? Faut-il laisser la place ? Faut-il décréter qu’il n’y a rien de bon dans cet espace-là, essentialiser la connerie qui s’y déploie ? Les réseaux constituent un espace rêvé aux procès d’intention, qui guettent chacun pas moins que l’autre. On peut y nourrir tout type de sentiment de l’altérité.
On y inscrit, beaucoup.

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Intéressé depuis plusieurs années par l’histoire de l’Afrique du Sud, j’ai de lectures en lectures fini par ouvrir les Nouvelles africaines de Doris Lessing. Choc absolu. Enthousiasme partagé par Julie. Acquisition du réputé chef-d’œuvre, Le Carnet d’or. Autre choc.
Lessing parle de politique, d’écriture, de féminisme, expérimente tout en atteignant le niveau le plus élevé que je connnaisse de frénésie de lecture : dégommer le livre tout en s’arrêtant à la fin d’un paragraphe sur trois, surstimulé, prêt à remâcher ce que l’on vient, avec elle, de dé-couvrir. Oui, la tête dans Derrida, des guillemets incongrus risquent de faire leur apparition.
Ça ne m’avait pas fait ça depuis, mettons, Léon Tolstoï, Arno Schmidt, Roberto Bolano. Rien que ça.