Par où commencer ?
Cela fait longtemps que
mes mots s'attachent avec régularité à cette histoire, sans que
n'en soient sortis beaucoup d'entre eux, ni fixés, ni donnés à
lire.
On ne raconte pas aussi
légèrement qu'on le voudrait les années importantes. Ajoutez à
cela la volonté de rendre justice aux vies qui s'y pressent,
aux personnes avec lesquelles on a vécu l'histoire en question sans
les trahir, sans passer à côté : la tâche effraie, on
repousse, on procrastine, on n'écrit pas et le temps passe ainsi.
Il faut rentrer de
vacances, découvrir dans sa boîte aux lettres le disque enfin
achevé, l'écouter avec Julie tandis que l'on cuisine et que les
souvenirs remontent, les plus anciens entre 2002 et 2003, laisser
remonter aussi un souvenir beaucoup plus récent, celui d'une
chronique injuste, tellement à côté de la vérité que je tiens de
ce groupe, pour qu'en marchant hier dans Marseille, je signale à
Julie que le présent texte est en train de s'annoncer.
Avec The Kissinmas,
souvent dits les Kissinmas avant de devenir Kissinmas
tout court dans une volonté encore un peu plus britpop, nous avons
commis toutes les erreurs possibles et imaginables d'un groupe de
rock en France dans les années deux mille et dont les membres
restent amis. J'écris « nous » bien que parti au bout de
sept ou huit ans de bons et loyaux services, trois ou quatre ans
avant la cessation provisoire des activités, la fin de la deuxième
ère, la présente reprise en constituant la troisième. J'écris
« nous » parce que ce groupe, certainement pas le plus
visible parmi les formations auxquelles j'ai pu participé, pas celui
où j'ai vécu les histoires de musicien et de route les plus
exotiques ni les plus conformes à l'idée commune que l'on se fait
de ce genre d'aventures, ce groupe donc est le mien, vraiment, comme
celui de tous ses membres.
Nous étions des amis,
rencontrés de bric et de broc, formant une réelle démocratie qui
donc ne fonctionnait pas, passant son temps à penser et repenser son
fonctionnement, à essayer, à se déchirer tout en restant ensemble,
à digérer ces tensions tout en tâchant de prendre, sans aucune
expérience, des décisions qui n'ont jamais été simples.
Nous n'avons su être
d'aucune côterie : pas assez punk, pas assez garage, pas assez
dance, pas assez pop-rock – beurk –, pas assez
indépendants, pas assez mainstream.
Pour les ayatollahs, les
purs et durs, nous avons vendu notre âme. Pour les professionnels de
la profession, nous étions incontrôlables. Les uns et les autres
avaient à la fois raison et tort. Nous avons accepté bien trop de
compromis, de conseils visant à la professionnalisation, de
ceux qui, avec le recul que l'on peut facilement avoir désormais,
font crever les groupes par dizaines en essorant leur créativité
avant de les lâcher inertes et incapables dans la nature. Mais quand
dans une formation de sept musiciens jouant une musique – en gros,
la britpop et des trucs qui se dansent – sans réseau, autant de
membres se sont fâché avec les études, on aboutit au paradoxe de
sept fortes têtes peu normées prêtes à écouter tout discours
positif, jusqu'au malentendu. Dans les circonstances de notre
jeunesse, le premier à frapper à la porte en signalant qu'on était
bons et qu'on pouvait vivre de ce qu'on aimait faire – écrire et
jouer des chansons – avait là un public de choix.
Nous n'avons jamais été
cool. Même à nos débuts, quand la scène garage nous a brièvement
compté dans ses rangs, nous avions trop de morceaux signalant
l'écoute de Rapture ou de Strokes, soit l'antithèse de leur
snobisme et donc notre snobisme à nous.
Nous étions pop, au sens
britannique, avec citation de Ray Davies sur les EP, mégalomanie
jouée, paroles à jeux de mots. À force d'attention aux détails,
nous avons parfois manqué de vue d'ensemble mais c'était le prix à
payer de notre égalité. Et si nous avons en de rares et courtes
circonstances modifié des chansons sur des conseils extérieurs –
il y en a trois qui me viennent à l'esprit et ce sont trois regrets
–, nous en avons composé plus d'une soixantaine qui toutes
correspondent à un goût trop éclaté. Il aurait peut-être fallu
tout mettre à chaque fois dans chaque morceau et devenir des
expérimentateurs jouant avec les formes, ou ravaler la
variété de nos envies et nous tenir à un type ou un autre de
format. Mais pour nous, pop, en anglais, c'était surtout synonyme de
liberté, les singles et les chansons d'album. Et on
était trop nombreux pour ne pas s'ennuyer à jouer tout le temps la
même chose.
Je n'ai pas pensé à
toutes ces choses en écoutant le disque avec Julie dans ma cuisine.
Les émotions et souvenirs qui remontaient et que je partageais
étaient bien suffisants alors. C'est en me les remémorant le
lendemain et en les associant à la critique violente et injuste
parce que remettant en cause la sincérité des musiciens les plus
sincères que je connaisse – et régulièrement méconnus sur ce
point – que se sont agencés certains éléments parmi d'autres.
Pierre Michon, auteur originaire du département fétiche de tout
Kissinmas qui se respecte car théâtre d'exploits redoutables, parle
de ces vies qu'on mésestime parce qu'on ne les raconte pas. Il
faudra raconter la vie des Kissinmas.
*
À part ceci, c'était
les vacances donc aussi pour l'entrainement et le blog. Les crises de
manque d'endorphines se multipliant, la reprise des sorties va être
un bonheur.
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