Depuis trois années, les
trains qui s'éloignent de Clermont-Ferrand sont des trains de
retour. C'était devenu nécessaire. Depuis trois années,
l'itinéraire souvent primordial, celui qui sépare la maison, le
foyer du lieu où l'on va pour agir ailleurs que chez soi s'est
d'abord inversé, puis décalé pour autant que je puisse le saisir.
En décentrant à
plusieurs reprises, on s'étourdit dans les retours, les souvenirs
devenant des lieux de bataille entre flux, devenir et immobilité,
les couches de temps et les perspectives, lignes, lieux et mouvements
donnant, par leur charge accrue en sensations instantanées et/ou
mémorielles, un repère dont le nombre de dimensions rend
l'exploration d'une rare intensité. Peut-être aussi que le retour
que je passe en écrivant ces lignes, train Clermont-Brest, succède
à un retour aux affaires musicales avec les anciens compagnons, un
autre retour, des retours qui se croisent et se complètent.
*
Les études
s'éternisaient dans un mémoire consacré à Thomas Bernhard, qui
au-delà d'un premier jet sans queue ni tête, signait la fin de ma
première phase d'immersion philosophique, une sortie par la
littérature, comme s'il fallait y lire quelque chose. Je traînais
un ennui tenace et l'absence de tout projet concret suite à la
tabula rasa de mes recherches dans l'hédonisme d'étudiant
attardé. Un soir, un ami précieux me parla d'un groupe qu'il avait
pu écouter la semaine précédente lors d'une soirée d'école
d'ingénieurs, groupe présenté comme « pop et carré »
de façon fallacieuse mais suffisamment efficace pour que je veuille
le rencontrer. Un autre soir, je croisai Matthieu, l'un de ses
membres, dans une résidence étudiante en fête. Le goût partagé
pour la Zubrowska, l'échange de riffs – je lui montrai « Out
of Time » de Blur –, des concerts en commun – Notwist à
Benicassim, Chokebore et les White Stripes d'avant l'explosion à
Clermont-Ferrand – ainsi que le même balancement régulier entre
distance et exigence s'exprimant au premier degré fondèrent ce
qu'on appelle une amitié. Nous crûmes ensemble que nous nous
mettions à faire de la musique sérieusement, ce qui finit de créer
des liens, quels que furent les châteaux de cartes ou d'Espagne qui
peuplèrent la décennie suivante.
Plus loin, plus
récemment, Matthieu m'annonça qu'il se lançait dans une aventure
solo avec des textes de JLM. Je lui annonçai que Julie m'attendait à
Brest. Puis il me demanda si je voulais bien rédiger des textes de
présentation pour son matériel de communication, ce que je fis avec
plaisir, entendant enfin dans ses démos la musique qu'il essayait de
jouer depuis nos premières conversations – « Let me Down the
Cross » avec Kissinmas, c'était déjà ça. Enfin il me
demanda de l'accompagner sur une tournée. Je dis oui.
Et me voici rentrant
d'une résidence à Clermont-Ferrand. Il y en eut une quantité. Mais
celle-ci vient après tellement d'autres choses que son parfum, les
doutes d'abord puis les certitudes et le plaisir qu'elle m'a procuré
la mettent à part. Retrouver des gens qui vont bien, qui savent
donner et recevoir, faire preuve et usage de bienveillance, c'est
beau et bon. On en oublierait presque les quelques masques et lieux
que l'on goûte moins.
*
La course à pied va
cependant devoir céder la place au repos cette fin de semaine,
puisque j'ai attrapé un genre de contracture/début de tendinite
assez crispante à la toute fin de la résidence. Sa raison : je
crains que ce soit de ne plus avoir l'habitude de taper du pied aussi
longtemps. Ce qui en fait, j'en conviens, l'une des blessures les
plus stupides de l'histoire.
*
En attendant l'annonce du
quai du Paris-Rennes en gare de Montparnasse – tout retour sait
emprunter certains détours –, oppressé par le meilleur de Paris,
son métro-étuve, ses visages mous et fermés, une éclaircie a tenu
à peu : une silhouette élégante, en chaussant des écouteurs, m'a
rappelé cette possibilité et comme souvent depuis six mois, j'ai
opté pour Bloom de Beach House. Dès « Myth » les
yeux se sont levés plus loin vers la perspective bétonnée,
au-dessus des agglomérats de gens occupés, rendant à l'espace et
donc au temps, à la respiration, au soulagement.
*
Arrivé après dix heures
de train, tandis que Julie retrouvée nous ramenait en voiture, j'ai
été gonflé d'une sensation fabuleuse, inédite : je rentrais à la
maison et pour la première fois, je me sentais chez moi, chez nous,
et pas juste chez Julie à Brest.
*