samedi 22 août 2015

Faire des paquets


Le silence prolongé de ce journal ne constitue pas une surprise : des vacances ont eu lieu, nécessaires, longues, pendant lesquelles il ne s'est pas agi de courir. Nous avons tout de même marché beaucoup dans les villes – Barcelone, Tolède, Lisbonne – et une demi-journée dans un désert décevant – la faute à l'exploitation touristique peu fameuse d'un monastère qui, il y a quelques siècles, devait certainement valoir le coup d'œil. C'est le monasterio de la pierda, vers Saragosse, à faire passer Ibiza pour Aurillac.
Les articulations ont apprécié, la ligne un peu moins et le dos non plus. Depuis je m'emploie à reprendre avec des sorties douces, sachant que le déménagement à venir, par ses nécessaires impondérables, ne peut laisser envisager un plan détaillé et rigide ni des objectifs élevés pour la quinzaine qui vient. Et de là, un simple affût des sensations m'occupe et souvent me comble.

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Empaqueter mêle les sentiments, pointe les nœuds avec lesquels on vit. Je n'en peux plus de patience avant mon installation à Brest, depuis les mois que j'attends d'abolir les kilomètres qui me séparent de Julie. Pourtant, derrière moi, tout autour de moi, il y a Marseille où j'ai travaillé sur de beaux projets, où j'ai perdu mon père et me suis séparé, où j'ai établi des amitiés fortes, où je me suis reconstruit en un sens, construit en un autre, où j'ai marché, escaladé, couru, où j'ai rencontré Julie enfin.
Il faut se tenir entre les villes, entièrement dans la nouvelle sans croire que cela implique de laisser l'autre.

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Empaqueter mêle les sentiments, mais peut aussi laisser songeur. Je retrouve les stigmates de la précipitation de mon dernier mouvement et en tâchant de les amender – en triant et jetant –, j'erre dans des limbes pas toutes nostalgiques. Comment croire au hasard quand je me suis laissé aller à mettre Kid A en bande-son, pour feuilleter des photos de classe pendant « How to Disappear Completely » ? Ironie, sourire en coin en réponse à cette coïncidence jusqu'à ce que je réalise que je regardais ces photos d'une manière inédite : je voyais des adultes dans les visages d'enfants. Longtemps en les regardant, j'avais eu face à moi les visages des personnes photographiées, dans le temps de leur présence à moi et sans âge. Mais pour la première fois aujourd'hui, ces mêmes visages ne devenaient pas simplement mes camarades ornés de projections d'adultes possibles, non, ils étaient tout à la fois des enfants, très distants, et les porteurs de traits qui les dépassent, ceux de leurs parents et ceux qu'ils porteront eux quand ils seront adultes et là seulement en potentiel, en possible. Un sentiment étrange, une sensation d'acuité m'a traversé aujourd'hui, comme si je les voyais mieux, comme si je voyais enfin ces traits.
Il faut laisser s'écouler quelques heures pour envisager une origine à ce sentiment inédit : je passe beaucoup de temps à présenter les choses de ma vie à Julie, à me les présenter à moi en écrivant, à me les présenter en en faisant usage au lieu de les trainer. Et je me retrouve encore pris dans ce qui m'a bouleversé en lisant les Vies minuscules de Michon, « Avançons dans la genèse de mes prétentions », pourquoi faire ce que je suis en train de faire, vivre de la manière dont je vis ? Je pensais justement à Michon ce matin, lu en quelques traites, en quelques nuits d'ennui à l'époque où je surveillais des internats. Au long des foulées, je goûtais l'efficace de la course à pied dans la procuration de sensations tout en me remémorant le choc de cette lecture, de ce moment où Michon réalise que les vies, toujours, ont été autour de lui, qu'il faut les écrire.

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En fin de journée, je suis retourné dessiner au parc, un petit bâtiment au toit de chaume face à un banc ombragé, histoire de manger de la perspective et de ne pas réfléchir pour une demi-heure. Vivement recommandé.


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