Beaucoup de moments forts de course ces derniers jours,
l’envie de les rendre dans ce journal mais sans précipitation, sans se jeter,
sans sacrifier non plus à un minimum de recul en laissant l’enthousiasme béat
régenter l’effort.
Avant d’aller plus loin, une pensée de ce matin, nourrie de
bruine. À écrire ce journal avec la visée de le donner à lire, un écueil
récurrent du diariste a semé le doute en moi, que j’ai examiné avant de
l’écarter : on pourrait aussi se bien se mettre en scène. On pourrait
développer et soigner son ego par l’écrin de l’écriture, toucher au moyen
d’atermoiements choisis et de fausse humilité avant d’asséner le formidable de
son être et de ses actes savamment mis en mots. Faut-il exposer le contrat que
je me suis donné, à savoir que cette tentation me débecte ? Et en
l’exposant, signaler qu’un tel contrat, si nécessaire, fait que cette tentation
n’est finalement, peut-être, pas si éloignée ? Mais c’est écrire et donner
à lire qu’il faudrait alors examiner, au-delà du jeu de soi et de la
publication continue. Et c’est là un examen que je souhaite envisager plus loin
dans l’expérience. Pour l’instant, le contrat et la suspension qu’il appelle me
suffisent. J’envisagerai l’analyse dans un moment, avec plus d’expérience, avec
plus d’éléments.
*
Enfin, j’ai pris mes chaussures avec moi à Brest. Et enfin,
j’ai couru deux fois ce week-end dans ce qui va devenir, en septembre prochain,
ma nouvelle ville.
Julie travaillait samedi après-midi. Ayant prémédité la chose,
je me fixai sur une sortie longue d’exploration dans le vallon du Stang Alar et
alentours, que nous avions parcouru ensemble trois mois auparavant. Il m’était
alors apparu riche d’histoires pour Julie de différentes époques de sa vie, des
histoires que je ne pouvais que recueillir, écouter mais pas investir. Je
proposai mes impressions premières, frappé par l’écho préhistorique des
fougères arborescentes et de l’encaissement du vallon – un paysage
« préhistorique », donc dinosaurien dans ce qui reste un schéma
hérité de l’enfance, nourri au Journal de
Mickey et quelques autres, est pour moi par essence encaissé. Et j’emportai suite à cette balade la promesse intime de revenir y courir, d’y laisser
des traces, de m’y complaire, frappé de la beauté du lieu.
Le temps de lacer mes chaussures samedi et la pluie s’est
installée. J’ai couru, passé les cinq premières minutes d’acclimatation à
l’humidité, avec un bonheur profond : retrouver le chemin du vallon, y
humer ensuite l’humidité et savourer le faible taux de pollution, retrouver
l’arborescence qui, en passant de la marche ensoleillée à la course pluvieuse,
a fait un bond du Journal de Mickey à
un Jurassic Park pas moins évocateur.
En descendant, j’ai vite rejoint le port du Moulin Blanc, parcouru d’un bout à
l’autre avant de remonter au-dessus du parc du vallon, redescendu une nouvelle
fois dans une euphorie certaine, avant enfin le retour appelé par la raison. On
avait ouvert la cage du hamster coincé au parc Longchamp.
Retour synchrone avec Julie avant de rejoindre ses amis pour
une agréable soirée à parler entre autres de typographie. On ne se refait pas.
*
Ce matin, sortie en direction du pont Albert Loupe, au-dessus
de la rade, conseillée par la sœur de Julie. L’après-midi et la soirée d’hier
se sont en effet déroulés en famille, entre une belle exposition Giacometti à
Landerneau et une soirée à parler de la Grèce, de Heidegger et de Gunther
Grass. On ne se refait décidément pas. La mère de Julie m’a signalé l’intérêt
qu’elle prenait à la lecture du présent journal et je n’ai pas trop su lui
répondre, ce à quoi je m’attendais. Je ne sais jamais trop quoi répondre quand
on me parle de quelque chose que je fais ou que j’ai fait, à moins de me
concentrer sur les détails d’ordre technique. Peu à l’aise avec les
articulations d’ensemble, c’est là un effet récurrent de ma manière de me
concentrer sur les choses.
Et ce matin donc, j’y repensais un peu en découvrant enfin le
pont caché par la bruine tenace.
Comment peut-on s’ennuyer en courant ?
*
Cet après-midi, nous allons au cinéma.