Cela faisait un moment
que je n’étais pas venu par ici. On se dit toujours qu’on a le
temps de faire les choses, mais pour toutes les faire et les faire
bien, donc déménager, s’installer, répéter et tourner (à lire
ici), écrire pour d’autres lieux, explorer la ville et ses
alentours, travailler, vivre à deux, autant d’activités qui ont
rendu la tenue de ce blog moins cruciale, il faut compter avec
précision.
J’ai juste entretenu la
forme avant de reprendre un travail hivernal de foncier à l’aide
de mon nouvel engin de torture, une montre-cardio-gps. La torture
n’est pas tant physique, puisque je suis incité à courir moins
vite que selon mes sensations, que dans la privation d’une
immersion complète dans les perceptions, toujours à surveiller
allure et distances. Restent les grosses sorties du week-end pour
s’oublier et endorphiner plus fort, complétées de méditations
quotidiennes, à la bascule du jour. Le plaisir de la montée en
puissance, aussi.
*
A joué aussi,
certainement, l’angoisse de l’actualité. On s’efforce souvent
dans nos vies d’apprendre à mettre à distance le cours du monde,
sous peine de se rendre incapable d’action pour soi comme pour les
autres. Les événements terribles sont ceux qui abolissent cette
distance sans que la moindre de nos techniques dévolues à son
entretien ne parvienne à la faire subsister. On se tient alors pris
dans le déroulé, pris dans la sidération qui en découle,
spectateur complet. On balance, muet d’horreur tenté par le cri,
on consacre beaucoup d’énergie à préserver la réflexion,
l’analyse, en lisant, en cherchant aussi le recul dont le choc, par
principe, nous prive.
Les va-t’en-guerre et
les xénophobes ont trouvé dans l’état du monde un moteur à leur
décomplexion. Ce qui me frappe, c’est le naturel avec lequel le
crasseux est exhibé comme solution, nécessité, mot d’ordre, et à
quel point ce naturel est incompris par la partie de la population
qu’il choque et auquel j’appartiens, de la même manière qu’on
comprend mal ce qui se trame dans la tête des complotistes. Le
succès du Front National – nous sommes entre les deux tours quand
j’écris – aux régionales était prévisible depuis plusieurs
mois, avant les attentats, il n’est pas apparu spontanément, comme
une mauvaise surprise. Il n’en est pas moins
triste, cependant il était déjà là, en train d’advenir.
Les électeurs du Front
National n’envoient pas ou plus de message. Les électeurs du Front
National veulent que le Front National soit élu, en connaissance de
cause. Ils considèrent que les propositions du Front National sont
des solutions, ou à tout le moins qu’elles sont moins pires que
celles des autres partis politiques. Il faut techniquement démonter
ces propositions et en avoir d’autres, réelles, à leur opposer.
L’appel aux valeurs telles que la tolérance, le respect, la
liberté, l’égalité, la fraternité est inopérant car ces
valeurs sont abstraites pour quelqu’un en colère, pour quelqu’un
d’effrayé.
Par conviction, je ne
vote plus depuis plusieurs années et pourtant j’ai voté aux
régionales, parce que je refuse de jouer l’accélération du chaos
en laissant le Front National ou Wauquiez s’installer au pouvoir.
Il y a trop peu de temps entre les régionales et les présidentielles
pour que l’inanité et les scandales prévisibles n’éclatent,
pour que l’on puisse jouer le « laissons-les se planter ».
Pour autant, je continue de considérer la démocratie représentative
comme étant à repenser de fond en comble et avec la plus grande
urgence.
*
J’aime bien trop
l’histoire et depuis trop longtemps pour ne pas redouter les
comparaisons et les analogies. Ainsi, lire aujourd’hui chez Enzo Traverso que le Front National n’est pas un parti fasciste me
contente parce qu’effectivement, taxer toutes les formations
d’extrême-droite de fascisme relève de l’imprécision, du
raccourci sémantique stérile empêchant de penser les
particularités. Cependant, là où je le rejoins à nouveau, c’est
quand il signale qu’on ne peut prédire ce qui va arriver. C’est
le sens de l’histoire : les cartes n’ayant jamais été battues
comme elles le sont ces jours-ci, on ne peut savoir ce qui va
résulter de l’accession du Front National au pouvoir, sinon une
multitude de désastres dont les répercussions sont inimaginables.
Et c’est cette incertitude, croisée avec les crises multiples et
les discours horribles, qui donne un parfum tenace d’années trente
quand on est internationaliste, pacifiste et anarchiste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire