samedi 26 septembre 2015

Des retours


Depuis trois années, les trains qui s'éloignent de Clermont-Ferrand sont des trains de retour. C'était devenu nécessaire. Depuis trois années, l'itinéraire souvent primordial, celui qui sépare la maison, le foyer du lieu où l'on va pour agir ailleurs que chez soi s'est d'abord inversé, puis décalé pour autant que je puisse le saisir.
En décentrant à plusieurs reprises, on s'étourdit dans les retours, les souvenirs devenant des lieux de bataille entre flux, devenir et immobilité, les couches de temps et les perspectives, lignes, lieux et mouvements donnant, par leur charge accrue en sensations instantanées et/ou mémorielles, un repère dont le nombre de dimensions rend l'exploration d'une rare intensité. Peut-être aussi que le retour que je passe en écrivant ces lignes, train Clermont-Brest, succède à un retour aux affaires musicales avec les anciens compagnons, un autre retour, des retours qui se croisent et se complètent.

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Les études s'éternisaient dans un mémoire consacré à Thomas Bernhard, qui au-delà d'un premier jet sans queue ni tête, signait la fin de ma première phase d'immersion philosophique, une sortie par la littérature, comme s'il fallait y lire quelque chose. Je traînais un ennui tenace et l'absence de tout projet concret suite à la tabula rasa de mes recherches dans l'hédonisme d'étudiant attardé. Un soir, un ami précieux me parla d'un groupe qu'il avait pu écouter la semaine précédente lors d'une soirée d'école d'ingénieurs, groupe présenté comme « pop et carré » de façon fallacieuse mais suffisamment efficace pour que je veuille le rencontrer. Un autre soir, je croisai Matthieu, l'un de ses membres, dans une résidence étudiante en fête. Le goût partagé pour la Zubrowska, l'échange de riffs – je lui montrai « Out of Time » de Blur –, des concerts en commun – Notwist à Benicassim, Chokebore et les White Stripes d'avant l'explosion à Clermont-Ferrand – ainsi que le même balancement régulier entre distance et exigence s'exprimant au premier degré fondèrent ce qu'on appelle une amitié. Nous crûmes ensemble que nous nous mettions à faire de la musique sérieusement, ce qui finit de créer des liens, quels que furent les châteaux de cartes ou d'Espagne qui peuplèrent la décennie suivante.
Plus loin, plus récemment, Matthieu m'annonça qu'il se lançait dans une aventure solo avec des textes de JLM. Je lui annonçai que Julie m'attendait à Brest. Puis il me demanda si je voulais bien rédiger des textes de présentation pour son matériel de communication, ce que je fis avec plaisir, entendant enfin dans ses démos la musique qu'il essayait de jouer depuis nos premières conversations – « Let me Down the Cross » avec Kissinmas, c'était déjà ça. Enfin il me demanda de l'accompagner sur une tournée. Je dis oui.
Et me voici rentrant d'une résidence à Clermont-Ferrand. Il y en eut une quantité. Mais celle-ci vient après tellement d'autres choses que son parfum, les doutes d'abord puis les certitudes et le plaisir qu'elle m'a procuré la mettent à part. Retrouver des gens qui vont bien, qui savent donner et recevoir, faire preuve et usage de bienveillance, c'est beau et bon. On en oublierait presque les quelques masques et lieux que l'on goûte moins.

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La course à pied va cependant devoir céder la place au repos cette fin de semaine, puisque j'ai attrapé un genre de contracture/début de tendinite assez crispante à la toute fin de la résidence. Sa raison : je crains que ce soit de ne plus avoir l'habitude de taper du pied aussi longtemps. Ce qui en fait, j'en conviens, l'une des blessures les plus stupides de l'histoire.

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En attendant l'annonce du quai du Paris-Rennes en gare de Montparnasse – tout retour sait emprunter certains détours –, oppressé par le meilleur de Paris, son métro-étuve, ses visages mous et fermés, une éclaircie a tenu à peu : une silhouette élégante, en chaussant des écouteurs, m'a rappelé cette possibilité et comme souvent depuis six mois, j'ai opté pour Bloom de Beach House. Dès « Myth » les yeux se sont levés plus loin vers la perspective bétonnée, au-dessus des agglomérats de gens occupés, rendant à l'espace et donc au temps, à la respiration, au soulagement.

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Arrivé après dix heures de train, tandis que Julie retrouvée nous ramenait en voiture, j'ai été gonflé d'une sensation fabuleuse, inédite : je rentrais à la maison et pour la première fois, je me sentais chez moi, chez nous, et pas juste chez Julie à Brest.

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