David Bowie est mort. Il
n’y a pas de besoin de reprendre l’adjectif usuel accolé à
cette nouvelle, « terrible », « c’est une
terrible nouvelle » ou « Terrible nouvelle » avec
la majuscule et sans le déterminant. Mes yeux s’attardent sur ce
jeu des usages et des idiomes médiatiques pour ne pas regarder ce
qui les appelle, la mort réelle de Bowie. Et comme pour Lou Reed,
une ultime fois son éclaireur, un trépas qui en premier sentiment
me semble logique a posteriori, au point de prendre la chose
avec philosophie s’avère par la masse des hommages sur les
réseaux, des hommages non attendus, non forcés, spontanés,
touchants. Dans un deuxième mouvement, la tristesse.
Mais comment ressentir
d’abord la perte au décès de quelqu’un qui a tant donné ?
Comment ne pas envisager que tout ce qu’il a donné, ses disques
et le reste, sont et demeurent donnés ? Et que cette générosité
ne s’annule pas à l’instant où cesse sa vie, puisque Bowie a de
façon irrémédiable et pour le meilleur rendu plus belles et plus
vivantes les existences d’innombrables auditeurs ?
Il s’est joué comme
rarement quelque chose d’intime dans son appropriation par des
générations successives de fans, qui de surcroît pouvaient à
chaque fois mener une archéologie de l’œuvre du chanteur,
remontant jusqu’aux premières gemmes, jusqu’au « Space
Oddity » séminal – ce qui précéda n’était que de
l’incubation. Présenté comme maître des masques, il suscite
pourtant les hommages émus, sans doute parce que lui-même était
sincère avec ses incarnations au point de s’y perdre
régulièrement, parce que dans son « deviens ce que tu es »
martelé se tenait cachée une qualité libératrice sans équivalent
dans la portée comme dans l’élégance.
David Bowie est mort et
on se console comme on peut. David Bowie est mort et on sent remonter
les moments, on perçoit comment il a su être un compagnon précieux,
un tableau dont on n’aperçut d’abord que quelques figures
isolées qui pourtant nous absorbèrent sans retour. The Rise and
Fall… lors d’un Noël, Earthling et le concert à la
maison des sports de Clermont-Ferrand dans la foulée alors que déjà
étaient passés par là le concert des cinquante ans au Madison
Square Garden, VHS usée jusqu’à la trame car il y avait tant de
gens qui comptaient dessus, les disque échangés pour copie en
cassette, nous entrions au lycée, Hunky Dory et l’éternité
de sa première écoute. Plus loin, Low puis “Heroes”,
cassette et CD reçu au Noël suivant. Le reste suivit par phases,
complétant, investiguant les mondes indiqués.
Car David Bowie était
aussi un passeur, offrant à qui voulait les clés de ses royaumes et
de ses obsessions, jamais pédant, toujours enthousiaste : il faisait
table rase avant que la lassitude puisse poindre – sauf durant les
funestes années quatre-vingt et sur ses albums plus faibles de fin
de cycle – Diamond Dogs, Lodger, Reality etc.
Il développa jusqu’au climax Low / “Heroes” une
orientation expressionniste, une musique aux tournures à la fois
amicales et exigeantes servie par un charisme aussi unique que la
décision de sa dernière œuvre, son ultime Blackstar dévoilé
quatre jours avant sa mort.
On se souvient avec
netteté du moment où l’on apprend certains décès, parce que les
moments vécus avec les personnes disparues sont
nombreux, signent des avants et des après, donnent le devenir. David
Bowie fait, pour une quantité incroyable de gens, partie de ces
personnes.
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