Il fallait laisser venir.
Laisser les dénégations légitimes, les pudeurs se dresser en
rempart avant d'accepter un appel surgi du plus loin de la volonté,
de ce lieu où les décisions se prennent pour la plupart.
Des années, refuser
l'appel en ne le formulant pas, en ne l'envisageant pas. Puis sur la base
d'une boutade, grouper les éléments épars sans grand effort : ils
savent se reconnaître les uns les autres.
Je cours depuis sept ans
maintenant. Quand je dis que je cours depuis sept ans, cela ne veut
pas dire que je cours tous les jours depuis sept ans mais que depuis
sept ans, je considère une période où je cours comme une période
normale et une période où je ne cours pas comme une période
anormale, frustrante, d'amoindrissement moral et physique.
Tout m'appelle à la
course d'endurance, le général comme le particulier : la bipédie,
le plaisir qu'offrent endorphines et les puissances d'agir physique –
se sentir capable de – et morale – se savoir
capable de – retrouvées ou découvertes, mon goût pour la
méditation, les paysages visuels et sonores, l'effort solitaire etc.
L'homme en tant qu'espèce
est doué d'une capacité au déplacement qui, avec le contenu de son
occiput et quelques autres gadgets bien combinés comme le pouce
préhenseur, en a fait un prédateur riche d'itinéraires variés,
réfléchis et longs. C'est une joie de se servir de
cette capacité.
Depuis plusieurs mois,
alors que la saison a bien repris, je pâtis d'un manque d'objectif :
il est vite apparu que je ne pourrai inclure d'itinéraire de
randonnée engagée dans l'été 2015. Et sans objectif concret de
cet ordre, nécessitant une condition physique suffisante pour
réaliser le parcours, les sorties – je cours le matin – se sont
succédées, dénuées d'agrément, le plaisir des sensations se
perdant dans un sentiment d'inutilité.
Par ailleurs, le désir
de cesser à nouveau de fumer me tient sans me serrer, comme un
compagnon discret mais qui ne saurait disparaître : chaque instant
que je goûte me frustre en même temps par mon souffle qui, même
travaillé comme ces jours-ci, est pour
autant raccourci.
Comme beaucoup, j'ai
passé des années à mettre à distance les sujets qui engagent plus
profondément dans une conversation, habituellement par l'ironie ou
la boutade. Je ne regrette pas de savoir le faire : il faut aussi
pouvoir se protéger. Et si je suis sincère en évoquant mon envie
d'arrêter le tabac, je ne peux parfois m'empêcher de l'enrober d'un
mot.
Le dernier pourtant a su
se montrer performant sans que je ne m'y attende. À un ami qui me
demandait quand je pensais arrêter, tandis que je lui en avais
exprimé la volonté, je répondis sans y réfléchir « quand
je préparerai un marathon ».
Nous y voilà.
J'ai fumé une cigarette
peu après, machinale, puis plus une seule autre. L'évidence de
l'objectif, sa présence juste dévoilée alors qu'il était déjà
là depuis longtemps, compagnon des arcanes inconscientes de mon goût
et de ma volonté, m'a envahi peu à peu dans le restant de la
journée. Son actualité le rend nécessaire : je veux arrêter de
fumer, je veux un objectif physique inédit et à long terme. Le
marathon est à la fois accessible et effrayant, porteur d'une charge
symbolique à laquelle je suis sensible.
L'absence d'expérience
ne constitue pas une réserve : je cherche à vivre quelque chose
d'inédit et d'engageant et que ma vie en 2015 et 2016 me
permet.
Je me suis donné là une
longue route. La parcourir va nécessiter un engagement physique et
intellectuel qui me paraît suffisamment particulier, remarquable en
regard de ce qu'a pu être ma vie en de nombreuses périodes, pour
que je ressente le besoin de le narrer dans ce journal que je donnerai à
lire au fur et à mesure de son écriture.
À ce titre, il ne pourra
s'agir d'un guide pratique au sens où on peut l'espérer autour d'un
tel sujet.
Mon journal n'est celui
de nul autre, il existe pour usage, pour rendre idée de
toutes les digressions auxquelles l'individu doit s'attendre quand il
s'attelle à une tâche longue, pour tout ce qui
pourra surgir et que je ne peux encore concevoir.
Mais laissons pour ce
jour cet incipit approximatif et trop long. Il y aura bien le temps
de dire plus.
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