lundi 22 juin 2015

Boutade


Il fallait laisser venir. Laisser les dénégations légitimes, les pudeurs se dresser en rempart avant d'accepter un appel surgi du plus loin de la volonté, de ce lieu où les décisions se prennent pour la plupart.
Des années, refuser l'appel en ne le formulant pas, en ne l'envisageant pas. Puis sur la base d'une boutade, grouper les éléments épars sans grand effort : ils savent se reconnaître les uns les autres.

Je cours depuis sept ans maintenant. Quand je dis que je cours depuis sept ans, cela ne veut pas dire que je cours tous les jours depuis sept ans mais que depuis sept ans, je considère une période où je cours comme une période normale et une période où je ne cours pas comme une période anormale, frustrante, d'amoindrissement moral et physique.

Tout m'appelle à la course d'endurance, le général comme le particulier : la bipédie, le plaisir qu'offrent endorphines et les puissances d'agir physique – se sentir capable de – et morale – se savoir capable de – retrouvées ou découvertes, mon goût pour la méditation, les paysages visuels et sonores, l'effort solitaire etc.
L'homme en tant qu'espèce est doué d'une capacité au déplacement qui, avec le contenu de son occiput et quelques autres gadgets bien combinés comme le pouce préhenseur, en a fait un prédateur riche d'itinéraires variés, réfléchis et longs. C'est une joie de se servir de cette capacité.

Depuis plusieurs mois, alors que la saison a bien repris, je pâtis d'un manque d'objectif : il est vite apparu que je ne pourrai inclure d'itinéraire de randonnée engagée dans l'été 2015. Et sans objectif concret de cet ordre, nécessitant une condition physique suffisante pour réaliser le parcours, les sorties – je cours le matin – se sont succédées, dénuées d'agrément, le plaisir des sensations se perdant dans un sentiment d'inutilité.
Par ailleurs, le désir de cesser à nouveau de fumer me tient sans me serrer, comme un compagnon discret mais qui ne saurait disparaître : chaque instant que je goûte me frustre en même temps par mon souffle qui, même travaillé comme ces jours-ci, est pour autant raccourci.

Comme beaucoup, j'ai passé des années à mettre à distance les sujets qui engagent plus profondément dans une conversation, habituellement par l'ironie ou la boutade. Je ne regrette pas de savoir le faire : il faut aussi pouvoir se protéger. Et si je suis sincère en évoquant mon envie d'arrêter le tabac, je ne peux parfois m'empêcher de l'enrober d'un mot.
Le dernier pourtant a su se montrer performant sans que je ne m'y attende. À un ami qui me demandait quand je pensais arrêter, tandis que je lui en avais exprimé la volonté, je répondis sans y réfléchir « quand je préparerai un marathon ».

Nous y voilà.
J'ai fumé une cigarette peu après, machinale, puis plus une seule autre. L'évidence de l'objectif, sa présence juste dévoilée alors qu'il était déjà là depuis longtemps, compagnon des arcanes inconscientes de mon goût et de ma volonté, m'a envahi peu à peu dans le restant de la journée. Son actualité le rend nécessaire : je veux arrêter de fumer, je veux un objectif physique inédit et à long terme. Le marathon est à la fois accessible et effrayant, porteur d'une charge symbolique à laquelle je suis sensible.
L'absence d'expérience ne constitue pas une réserve : je cherche à vivre quelque chose d'inédit et d'engageant et que ma vie en 2015 et 2016 me permet.

Je me suis donné là une longue route. La parcourir va nécessiter un engagement physique et intellectuel qui me paraît suffisamment particulier, remarquable en regard de ce qu'a pu être ma vie en de nombreuses périodes, pour que je ressente le besoin de le narrer dans ce journal que je donnerai à lire au fur et à mesure de son écriture.

À ce titre, il ne pourra s'agir d'un guide pratique au sens où on peut l'espérer autour d'un tel sujet.
Mon journal n'est celui de nul autre, il existe pour usage, pour rendre idée de toutes les digressions auxquelles l'individu doit s'attendre quand il s'attelle à une tâche longue, pour tout ce qui pourra surgir et que je ne peux encore concevoir.
Mais laissons pour ce jour cet incipit approximatif et trop long. Il y aura bien le temps de dire plus.

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