Ce qui doit être écrit
n'est pas donné.
On n'a pas pensé à me
délivrer de mode d'emploi quand je me suis manifesté, quand j'ai
toqué à la porte du « je pousse des mots les uns derrière
les autres en les inscrivant de façon à ce qu'ils ne bougent – a
priori – plus, pour en faire usage, pour créer des
usages ».
Non, on a oublié.
Je défriche donc, je
demande peu d'avis parce que ce n'est pas mon genre sur ce qui doit
ou devrait être fait. Les retours, parcimonieux, sont précieux car
après. Mais j'ignore si les avis, conseils, peuvent donner s'ils
sont préliminaires quelque chose à l'écriture qui la rende plus
libre ou moins libre – dans le cadre d'un journal –,
plus ou moins performatrice.
Il n'y a parfois que peu
de hasard et je suis reparti de l'Alcazar, alors que je voulais
surtout un peu de bande dessinée et si possible du Baudoin, avec
deux journaux en bande dessinée, un volume de Fabrice Neaud et
l'autre de Julie Doucet. Baudouin, c'était pour le récit intriqué
au dessin, c'était pour piquer l'âme avant les vacances et le
périple que l'on va entreprendre avec Julie. L'an dernier en Italie
et Slovénie, nous avons à peine laissé déborder nos dessins et
nos textes les uns sur les autres. J'ai souvent gribouillé en
voyage, une activité féconde, et j'ai hâte d'approfondir ce
travail en miroir dans l'émulsion des idées, des échanges.
Reprendre une claque de Baudoin, de sa précieuse humilité me
semblait être une bonne idée avant de dévier sans préméditation
ni hésitation vers le journal.
Derrière le choix de ces
ouvrages, il y a l'interrogation de la forme et de la nourriture du
présent journal qui ne cesse de m'échapper alors que je l'écris,
qui ne cesse de bifurquer pour ne jamais se tenir là où je l'avais
imaginé, entre le témoignage et le laboratoire. C'est pourtant ce
qu'il est strictement, mais cette essence ne correspond pas à la
perception que j'en ai. J'avais projeté, prévu une autre perception
du moment de son écriture. Mais c'est aussi cette nécessaire
inadéquation qui fait que cela peut valoir le coup de s'atteler à
sa feuille ou à son clavier. Neaud et Doucet posent chacun à leur
tour ces mêmes questions, sans y répondre autrement que par la liberté qu'ils se donnent.
*
Deux fois j'ai couru ce
week-end, sans mon frère car je sentais qu'il m'aurait accompagné
surtout pour me faire plaisir. Du moins l'ai-je supposé, peut-être
était-ce aussi pour ne pas culpabiliser d'y être allé à ma
convenance, c'est-à-dire tôt le matin, quand la ville et Julie
dorment encore. Et ainsi la deuxième séance, initialement dévolue
aux fractionnés, m'a vu déployer une certaine énergie, comme s'il
fallait que la sortie soit particulièrement dure pour se justifier.
Mais là encore, que
raconter ? Laisser s'écouler la suite logique, la question
habituelle : que suis-je prêt à laisser pour atteindre
l'objectif fixé ? Quel inconfort suis-je capable d'assumer non
pour moi, mais pour mes proches ? Je n'avais pas de scrupule à
me lever tandis que le sommeil règne encore, jusqu'à réaliser que
celui-ci me rattrape plus vite que les autres lorsque le soir
s'installe.
*
Que raconter ?
Signaler qu'en courant, quand parfois les jambes sont un peu plus
lourdes, le souffle moins délié qu'on aurait voulu, on a recours
comme un usage à certaine pensée, à certaine idée d'une fierté
qu'on aurait su de celui qui n'est plus ? Et que cela se fait
dans une concentration qui s'est facilement ritualisée, qu'on ne
dilapide pas, passant aussi par des gestes précis ? Et que pour
autant, on a la certitude de ne faire cela que pour soi, qu'il ne
s'agit que d'une aide que l'on se donne, d'un usage possible du
deuil dans les phases plus
difficiles du quotidien, dont la préparation d'un marathon fait
désormais partie ?
*
Voilà certainement
quelque chose que permet le journal, préparer les mots pour dire
plus simplement les choses, de tout ordre.
En accompagnement, d'autres mots à usage, ceux d'Angel Olsen. Il faut savoir mettre une grosse ambiance par cette chaleur.
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